Suppression des TITSS et de la CNTSS : le début de la fin ?

16.06.2023

Droit public

Dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice pour 2023-2027, le Sénat a voté en première lecture la suppression, au 1er janvier 2025, des juridictions spécialisées du contentieux de la tarification sanitaire et sociale (TITSS et CNTSS). Une réforme à risques.

Les tribunaux interrégionaux et la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (TITSS et CNTSS) sont des juridictions administratives spécialisées chargées de trancher les litiges tarifaires opposant les autorités de contrôle et de tarification à des parties ayant intérêt à agir (gestionnaires d’établissement ou service, personnes accompagnées, caisses d’assurance maladie…). Elles sont composées selon le principe de l’échevinage et associent donc des magistrats professionnels, dont le métier principal est de juger, et des magistrats non professionnels, dont le métier principal n’est pas de juger, mais qui exercent occasionnellement ce rôle et qui par leur expertise et leur connaissance des secteurs sanitaire, social et médico-social contribuent à la qualité de la réponse juridictionnelle apportée. Ces juridictions sont dites de « plein contentieux » car elles peuvent fixer elle-même un autre tarif que celui retenu par l’autorité de tarification si elles estiment que cette dernière a méconnu les règles tarifaires applicables et si elles ont en leur possession tous les éléments leur permettant cette fixation. A défaut, elles renvoient le requérant devant l’autorité afin que cette dernière fixe un nouveau tarif sur les bases indiquées dans le jugement.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Une spécialisation critiquée depuis longtemps

Ces juridictions sont sur la sellette depuis un certain temps déjà. Dans les années 90, leur existence avait déjà été menacée et l’Uniopss avait organisé le 20 juin 1994 une journée d’étude au cours de laquelle plusieurs Hauts magistrats administratifs avaient défendu le nécessaire respect de la législation et de la réglementation tarifaires et réaffirmé l’intérêt d’une juridiction administrative spécialisée. Ainsi, Jean-Michel Belorgey, Paul Coudurier et Michel Levy étaient intervenus en ce sens aux côtés de Jean Rivéro, Professeur émérite des Facultés de droit à l’université de Paris et de Philippe Ligneau, Professeur de droit auprès de la Faculté de droit et de sciences sociales de Poitiers (Droit et contentieux, quelle place effective dans les rapports entre associations et pouvoirs publics, Uniopss, Actes de la journée d’étude publiés en février 1995). Cette journée fut un temps fort qui écarta pour un temps cette idée de suppression. Les pouvoirs publics préférèrent réformer la composition des TITSS et de la CNTSS en 2005 et 2006 pour la rendre compatible avec les exigences posées par l’article 6§1 de la convention européenne des droits de l’homme. Le principe de l’échevinage fut conservé mais sa traduction opérationnelle fut modifiée pour éviter tout soupçon de risque de partialité ou de dépendance vis-à-vis d’une partie potentielle au litige.

Projet de transfert aux juges administratifs

Quelque 26 ans après la journée d’étude de l’Uniopss, la mission permanente d’inspection des juridictions administratives se penchait sur la situation des TITSS et de la CNTSS. Au terme de la présentation de l’état des lieux, elle préconisait deux solutions dont la dernière avait sa préférence : la première consistait à améliorer à la marge le fonctionnement des juridictions du tarif et la seconde solution consistait à transférer ce contentieux à certains tribunaux administratifs et à une cour administrative d’appel, autrement dit à des juges administratifs de droit commun.

Ce second scénario fut présenté à la section sociale du Comité national de l’organisation sanitaire et sociale (CNOSS) le 14 mars dernier. Le gouvernement préconisait, sur la base d’une habilitation préalable du législateur, de procéder à cette réforme par voie d’ordonnance. Cette proposition donna lieu, visiblement à une courte majorité, à un avis favorable de la section sociale du CNOSS. De quoi soutenir le gouvernement qui a choisi, comme vecteur de la réforme, le projet de loi d’orientation et de programmation du Ministère de la justice pour 2023-2027 présenté au Conseil des ministres du 3 mai. Le texte a été examiné, en première lecture, par la Commission des lois du Sénat les 31 mai et 6 juin puis en séance publique les 6, 7 et 8 juin derniers avant un vote solennel le 13 juin de l’ensemble du texte.

La Commission des lois a validé le principe de cette réforme inscrite à l’article 26 du projet de loi mais a réécrit celui-ci pour que la loi l’organise elle-même, sans qu’il soit besoin de recourir à une ordonnance. La commission se basa sur le rapport de la mission d’inspection permanente des juridictions administratives, considéra que le développement des outils de contractualisation entre les autorités de tarification et les gestionnaires, la diminution du nombre de recours par les usagers ne justifiaient plus le recours à des magistrats non professionnels au côté de magistrats professionnels. En séance publique, le 8 juin 2023, l’affaire fut expédiée en 3 minutes ! L’amendement de suppression de cet article 26 présenté par la sénatrice Michèle Meunier, déjà rejeté en commission des lois, le fut à nouveau en séance publique. Cet amendement mettait en avant le risque de perte de connaissance de ces sujets et de qualité de la réponse juridictionnelle apportée en supprimant la présence des magistrats non professionnels. Appelée à donner son avis, la rapporteure de la Commission des lois réitéra l’avis de la commission. Pour sa part, le Garde des Sceaux se borna à indiquer que le nombre de recours devant ces juridictions ne cessait de baisser depuis 2014 avec environ 200 recours en première instance et moins de 50 en appel. Selon la version adoptée par le Sénat, cette suppression deviendrait effective au 1er janvier 2025 (art. 26 et 29, VI du projet de loi).

Une réforme à risques

Prétendre, comme le fait la mission d’inspection des juridictions administratives et le Sénat, qu’il y aurait dans ce contentieux « une importance croissante de questions purement juridiques au détriment des questions d’appréciation qui justifient plus particulièrement la présence de magistrats échevins issus du milieu sanitaire et social » est plus que sujet à interprétation. Les décisions rendues ces derniers mois et années par les TITSS et par la CNTSS montrent qu’il y a encore bien des questions d’appréciation qui sont jugées. Au demeurant, la réforme envisagée procède d’une certaine conception de la justice où seul le magistrat professionnel serait fondé à dire le droit. C’est une négation de l’échevinage.

Quelle urgence y a-t-il par ailleurs à réformer le contentieux de la tarification sanitaire et sociale dans un contexte de tensions majeures au sein des structures ? On rappellera au surplus que le contentieux de l’aide sociale a été réformé en 2018 non sans peine. Il est à cet égard surprenant que personne n’ait évoqué le bilan du transfert de ce contentieux en partie aux tribunaux administratifs.

De plus, mettre en avant le poids croissant des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) pour justifier la suppression des TITSS et de la CNTSS, outre son caractère discutable, omet la réalité… A savoir que le très grand nombre de recours actuellement devant le juge du tarif porte sur des établissements ou services hors CPOM, qui relèvent de la procédure budgétaire annuelle.

Enfin, qui peut penser sérieusement que même si les usagers déposent moins de recours devant le juge du tarif, ils ne sont pas impactés par les recours portés par d’autres requérants puisqu’à chaque fois est en question le niveau des dépenses et des recettes de l’établissement ou du service qui intervient en direction de ceux-ci et donc l’accompagnement qui peut ou pas être réalisé ?

Le débat n’est pas clos sur cette réforme aux enjeux majeurs pour le secteur social et médico-social. Prochaine étape à suivre : l’examen en première lecture par l’Assemblée nationale. La procédure accélérée étant engagée sur ce texte, après l’examen par les députés, une commission mixte paritaire (CMP) composée de 7 députés et de 7 sénateurs tentera de trouver un compromis sur un texte commun.

Arnaud Vinsonneau, juriste en droit de l’action sociale et médico-sociale, Associé du Cabinet Jegard Créatis
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